Des forêts paysannes

En Guinée forestière, au sein de forêts reconstruites, des petits paysans cultivent tout un tas de produits et de services qui leur permettent une certaine autonomie. Et, n’en déplaise aux officines internationales de développement, cette autonomie sait se raconter.

“C’est le café qui accueille les arbres», déclare Siba Téro, agriculteur du petit village de Boussédou. Si le café est un des principaux revenus de la zone, les producteurs n’ont pas encore cédé aux sirènes de la monoculture intensive. Dans cette région tropicale, qui a accueilli un million de réfugiés venant du Libéria et de la Côte-d’Ivoire toute proche, les gens du coin ont construit autour de leur village des forêts paysannes en guise d’écrin pour leurs champs de café. Sans oublier d’y blottir d’autres espèces agricoles (palmier à huile, agrumes, bananes, kola), mais aussi des arbres de bois d’œuvre, des arbres fertilisants et d’autres médicinaux. « Les arbres de bois d’œuvre sont notre banque et, en plus, on peut les transmettre à nos enfants », s’enthousiasme Emmanuel, autre agriculteur de Boussédou.

Ces forêts paysannes ont l’avantage d’être polyvalentes. Un mariage, un besoin d’argent conséquent ou une maison à construire ? Si les arbres appartiennent officiellement à l’État guinéen, les paysans ont leur circuit parallèle pour revendre le bois. Le cours du café s’effondre ? Ils se focaliseront sur les fruitiers ou sur leurs cultures vivrières. Et qu’on ne les emboucane pas ! « Quand les scieries viennent au village pour couper le bois sur nos parcelles, on les renvoie directement chez eux ou on bloque leurs machines », confie, entre deux pots de vin de palme, le « président  » de Boussédou. « Ils ne peuvent pas venir comme ça ! C’est grâce à nous que ces arbres sont là : ils protègent le café, fertilisent la terre, nourrissent les hommes, nous soignent et permettent de construire nos maisons, nos meubles, nos outils… »

Mais, bien que ces forêts cultivées offrent une relative autonomie alimentaire aux habitants de Boussédou, le gouvernement guinéen a choisi de promouvoir des projets de développement de la caféiculture intensive, avec son cortège d’engrais et de pesticides… Seulement voilà, ils ont échoué ! Pour Emmanuel, « si tu gardes les arbres, les caféiers donnent moins de café mais ils sont plus résistants et moins malades ;tu auras aussi moins de travail, car avec l’ombre des arbres, les mauvaises herbes poussent moins ». Les rendements sont certes faibles, l’outillage rudimentaire, mais le redoutable paysan autonome persiste et signe : « Tu vois cet arbre ? Je ne vais pas le couper, même s’il ne me sert à rien.J’ai remarqué que deux vieux du village viennent parfois récolter son écorce pour faire leur médicament, alors je vais le laisser. »

Ces forêts paysannes, appelées « agroforêts », ont même le mérite de conserver une part de la biodiversité locale et permettraient de diminuer la pression de la coupe de bois et de la chasse au gibier ; car la région possède à proximité plusieurs réserves classées patrimoine mondial de l’Unesco…

« C’est l’Afrique à papa ! Avec la pression foncière, toutes ces agroforêts vont disparaître au profit de la monoculture intensive », prophétise un agronome français qui émargeait en Côte-d’Ivoire. Mais les locaux n’ont pas dit leur dernier mot : « Moi, je fais le riz pour faire gagner la forêt ! », lance un paysan. Une petite phrase qui veut dire beaucoup. La région est traversée par des savanes réputées impropres à l’agriculture et qui n’ont aucun statut de propriété. À grands coups de persévérance et de machette, certains jeunes y cultivent cependant du riz et, à force de combinaisons de plantes cultivées et de temps de jachère, parviennent à régénérer les sols stériles des savanes pour y implanter… des agroforêts ! Une bonne mandale dans la gueule de ceux qui crient que les paysans du Sud sont coupables de la désertification. Des études récentes sont formelles : ces joyeux zigues ont augmenté les surfaces forestières de la région en faisant progresser leurs forêts paysannes sur la savane.

À l’heure des bouffonneries de la croissance verte salvatrice, des plans de relance stalino-industriels et de Libé demandant à Cohn- Bendit s’il se voit président, il y a de quoi en prendre de la graine : cultures durables, paysannerie autonome et solidaire, conservation de la biodiversité, ingéniosité écologique… À quand l’activation d’une coopération Sud-Nord ? À quand des charters de techniciens villageois, de Boussédou et d’ailleurs, pour venir éclairer nos mornes campagnes ?

Article publié dans CQFD N°69

Luttes paysannes et luttes de banlieues : viva Oaxaca!

Unitierra (Universidad de la Tierra)  propose une critique radicale de l’éducation et met en place des cycles de réflexions et d’actions avec les communautés indiennes du Sud-est mexicain. Mais Unitierra se veut aussi une composante du mouvement social mexicain et de la révolte de la Commune de Oaxaca en 2006 (voir encadré).

Rencontre avec Gustavo Esteva, un des créateurs de cette « université » mais aussi écrivain et figure du militantisme au Mexique.

Caracol: Pourrais-tu nous expliquer brièvement l’origine et le projet politique de UniTierra (Universidad de la Tierra) ?
Gustavo Esteva: Unitierra a été créée en 1999 à Oaxaca autour d’un premier constat: l’éducation scolaire mexicaine a été pensée comme un outil pour détruire les peuples indiens. Certains villages ont fermé ces écoles et il y a eu un véritable engouement autour des nouvelles écoles autogérées par les indiens eux-mêmes. Unitierra est née par et pour les communautés rurales indiennes suite aux préoccupations de voir les jeunes de ces écoles grandir mais sans réelle légitimité «  scolaire  » .  Nous   avons   créé   alors   cette   petite  organisation que nous pensons comme une communauté d’individus qui s’autoforment mutuellement et qui luttent entre autres pour la réappropriation de la démocratie dans les communautés indiennes rurales et les quartiers populaires.

C: Tu pourrais nous en dire plus sur ce processus d’apprentissage?
GE: Nous sommes basés sur deux principes. Premièrement, « on apprend en faisant », en se confrontant à la réalité concrète et deuxièmement: le contrôle du processus d’apprentissage est entre les mains de celui qui apprend.

C: Comment est ancrée cette recherche d’autonomisation avec la vie sociale locale?
GE: Il y a tout d’abord un ancrage historique et culturel fort: 4 municipalités sur 5 se déclarent « autonomes » dans l’État de Oaxaca et elles luttent férocement pour leur autonomie sociale, économique et surtout politique. Pour citer un exemple, nous somme en train de faire des tables rondes sur la problématique de l’eau à Oaxaca dans les quartiers populaires où on se questionne sur à quoi est due la mauvaise qualité de l’eau, comment gérer et économiser l’eau à l’échelle de sa maison puis du quartier et ainsi de suite on établit ensemble de vraies propositions politiques issues de réflexions collectives intercalées d’ateliers pratiques.

C: En 2006 éclate la révolte de Oaxaca, comment Unitierra s’est inséré dans l’APPO ?
GE: Nous étions en plein cycle de travail collectif sur la production vidéo. Comme Unitierra était une des nombreuses organisations de l’APPO, il nous a semblé logique au début de filmer le mouvement social. On a ainsi créé deux sites d’informations indépendants de référence pour le mouvement et organisé de nombreux ateliers populaires de journalisme alternatif, de créations d’affiche etc. Enfin le mouvement social a vu exploser le nombre de radios communautaires pirates qui ont été de véritables outils de démocratie directe et de contre-information. On a ainsi participé depuis à la création de 25 radios rurales et à la mise en réseau à travers l’ensemble du pays de ces radios paysannes.

C: Comment se passe aujourd’hui cette jonction entre la luttes des communautés rurales et la continuité du mouvement de 2006?
GE: La particularité du mouvement de Oaxaca a été de connecter les communautés indiennes rurales et leurs pratiques autogestionnaires aux quartiers populaires. Les actions d’Unitierra sont concentrées autour de luttes qui font suite à cette connexion et au mouvement social. Premièrement, la lutte pour la régénération culturelle où on travaille autour des cultures indiennes locales ou de l’assembléisme propre aux communautés indiennes; il y a aussi la lutte pour la défense de la culture du maïs, des pratiques agricoles traditionnelles ou de réseau paysan de formation. Puis les formes de communication, à travers la constitution de radios communautaires ou encore la formation à l’audiovisuel. Enfin la lutte pour des outils « conviviaux » à travers la création collective d’outils comme les cyclo-broyeuses par exemple.

C: Les pratiques autogestionnaires traditionnelles semblent proche des idéaux de certaines organisations politiques non?
GE: Les gens d’ici veulent se gouverner eux-mêmes, avoir un gouvernement constitué d’eux-mêmes. Il y a un respect de l’autorité, à partir du moment où elle respecte le principe zapatiste d’«ordonner en obéissant au peuple». L’APPO s’est aussi abstenue de chercher à prendre le pouvoir. Plutôt que de grimper sur les chaises vides de ceux qui ont abusé du pouvoir, les organisations sociales tentent de reconstruire la société depuis le bas et de créer un nouveau type de relations sociales. Comme disent les zapatistes: changer le monde est très difficile, si ce n’est impossible. Une attitude plus pragmatique est la construction d’un monde nouveau…

//////////////////////////////   La Commune Libre de Oaxaca

De juin à novembre 2006, un vent de révolte souffle dans  l’État du Oaxaca, un état pauvre et indien du sud-est mexicain.
Un soulèvement populaire de toute la ville puis de l’ensemble de l’état mène à créer l’Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca (APPO) réunissant associations, mouvements indiens, syndicats, partis d’extrêmes gauche, libertaires etc…
La ville entière expulse le gouvernement local et se barricade durant des mois pour faire face à la répression féroce et aux milices locales. 80% des 570 municipalités rurales de la région se déclarent « autonomes » et la ville de Oaxaca expérimente via l’APPO l’auto-organisation et la démocratie directe tout en s’inspirant des pratiques autogestionnaires des communautés indiennes.
Fin octobre 2006, le président mexicain envoie 4.000 militaires et policiers au nom de l’ordre public pour réoccuper la ville. Après une trentaine de morts (dont un journaliste américain indépendant d’Indymedia), des centaines de prisonniers politiques et la destructions des barricades, « l’ordre est rétabli » mais encore aujourd’hui le mouvement continue…
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Edito #0

« Caracol»  c’est le nom donné aux communauté rurales zapatistes,
« Caracol»  c’est l’escargot, symbole de la lenteur dans un monde qui prône la vitesse et la performance,
« Caracol»  c’est la spirale qui va du centre jusqu’à l’extérieur, jusqu’à l’autre,
« Caracol» pour caracoler (avancer par petits bonds dixit Petit Robert)  vers l’autonomisation, vers des pratiques (de vie, de lutte, de production)  autogestionnaires et collectives.

Mais pourquoi écrire Caracol ? Peut-être pour donner un support à des alternatives qui enchantent, pour attiser des réflexions que l’on ne trouve ni dans les mass medias, ni les bulletins des organisations agricoles, pour faire part d’autres voies que celles de garage… L’urgente nécessité d’opposer à nos lieux de vie, aménagés, gérés, aseptisés,  spécialisés un imaginaire tangible, hors des zones industrielles, artisanales, commer-ciales, des aménagements  concertés .

Nous sommes de plus en plus à bricoler des bouts d’autonomie pour se réapproprier nos vies et quelques lopins de terre que ce soit dans les arrières-pays ou près des villes. Jardins urbains, squat de terres, réseau de fermes, circuits-courts paysans, sont autant d’initiatives qui nous permettent  de réinventer et de repenser l’agriculture paysanne comme progrès social, de décloisonner le rural et l’urbain, de se libérer des contraintes du temps et des comportements consuméristes qui nous submergent.

Caracol se veut un journal artisanal, parsemés d’erreurs et d’imprécisions, qui souhaite (re)mettre au cœur  du mouvement social la question de l’agriculture paysanne, de l’autonomisation alimentaire mais aussi du projet politique que peuvent porter les campagnes pour interroger nos réflexions, nos luttes, nos utopies.