Luttes paysannes et luttes de banlieues : viva Oaxaca!

Unitierra (Universidad de la Tierra)  propose une critique radicale de l’éducation et met en place des cycles de réflexions et d’actions avec les communautés indiennes du Sud-est mexicain. Mais Unitierra se veut aussi une composante du mouvement social mexicain et de la révolte de la Commune de Oaxaca en 2006 (voir encadré).

Rencontre avec Gustavo Esteva, un des créateurs de cette « université » mais aussi écrivain et figure du militantisme au Mexique.

Caracol: Pourrais-tu nous expliquer brièvement l’origine et le projet politique de UniTierra (Universidad de la Tierra) ?
Gustavo Esteva: Unitierra a été créée en 1999 à Oaxaca autour d’un premier constat: l’éducation scolaire mexicaine a été pensée comme un outil pour détruire les peuples indiens. Certains villages ont fermé ces écoles et il y a eu un véritable engouement autour des nouvelles écoles autogérées par les indiens eux-mêmes. Unitierra est née par et pour les communautés rurales indiennes suite aux préoccupations de voir les jeunes de ces écoles grandir mais sans réelle légitimité «  scolaire  » .  Nous   avons   créé   alors   cette   petite  organisation que nous pensons comme une communauté d’individus qui s’autoforment mutuellement et qui luttent entre autres pour la réappropriation de la démocratie dans les communautés indiennes rurales et les quartiers populaires.

C: Tu pourrais nous en dire plus sur ce processus d’apprentissage?
GE: Nous sommes basés sur deux principes. Premièrement, « on apprend en faisant », en se confrontant à la réalité concrète et deuxièmement: le contrôle du processus d’apprentissage est entre les mains de celui qui apprend.

C: Comment est ancrée cette recherche d’autonomisation avec la vie sociale locale?
GE: Il y a tout d’abord un ancrage historique et culturel fort: 4 municipalités sur 5 se déclarent « autonomes » dans l’État de Oaxaca et elles luttent férocement pour leur autonomie sociale, économique et surtout politique. Pour citer un exemple, nous somme en train de faire des tables rondes sur la problématique de l’eau à Oaxaca dans les quartiers populaires où on se questionne sur à quoi est due la mauvaise qualité de l’eau, comment gérer et économiser l’eau à l’échelle de sa maison puis du quartier et ainsi de suite on établit ensemble de vraies propositions politiques issues de réflexions collectives intercalées d’ateliers pratiques.

C: En 2006 éclate la révolte de Oaxaca, comment Unitierra s’est inséré dans l’APPO ?
GE: Nous étions en plein cycle de travail collectif sur la production vidéo. Comme Unitierra était une des nombreuses organisations de l’APPO, il nous a semblé logique au début de filmer le mouvement social. On a ainsi créé deux sites d’informations indépendants de référence pour le mouvement et organisé de nombreux ateliers populaires de journalisme alternatif, de créations d’affiche etc. Enfin le mouvement social a vu exploser le nombre de radios communautaires pirates qui ont été de véritables outils de démocratie directe et de contre-information. On a ainsi participé depuis à la création de 25 radios rurales et à la mise en réseau à travers l’ensemble du pays de ces radios paysannes.

C: Comment se passe aujourd’hui cette jonction entre la luttes des communautés rurales et la continuité du mouvement de 2006?
GE: La particularité du mouvement de Oaxaca a été de connecter les communautés indiennes rurales et leurs pratiques autogestionnaires aux quartiers populaires. Les actions d’Unitierra sont concentrées autour de luttes qui font suite à cette connexion et au mouvement social. Premièrement, la lutte pour la régénération culturelle où on travaille autour des cultures indiennes locales ou de l’assembléisme propre aux communautés indiennes; il y a aussi la lutte pour la défense de la culture du maïs, des pratiques agricoles traditionnelles ou de réseau paysan de formation. Puis les formes de communication, à travers la constitution de radios communautaires ou encore la formation à l’audiovisuel. Enfin la lutte pour des outils « conviviaux » à travers la création collective d’outils comme les cyclo-broyeuses par exemple.

C: Les pratiques autogestionnaires traditionnelles semblent proche des idéaux de certaines organisations politiques non?
GE: Les gens d’ici veulent se gouverner eux-mêmes, avoir un gouvernement constitué d’eux-mêmes. Il y a un respect de l’autorité, à partir du moment où elle respecte le principe zapatiste d’«ordonner en obéissant au peuple». L’APPO s’est aussi abstenue de chercher à prendre le pouvoir. Plutôt que de grimper sur les chaises vides de ceux qui ont abusé du pouvoir, les organisations sociales tentent de reconstruire la société depuis le bas et de créer un nouveau type de relations sociales. Comme disent les zapatistes: changer le monde est très difficile, si ce n’est impossible. Une attitude plus pragmatique est la construction d’un monde nouveau…

//////////////////////////////   La Commune Libre de Oaxaca

De juin à novembre 2006, un vent de révolte souffle dans  l’État du Oaxaca, un état pauvre et indien du sud-est mexicain.
Un soulèvement populaire de toute la ville puis de l’ensemble de l’état mène à créer l’Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca (APPO) réunissant associations, mouvements indiens, syndicats, partis d’extrêmes gauche, libertaires etc…
La ville entière expulse le gouvernement local et se barricade durant des mois pour faire face à la répression féroce et aux milices locales. 80% des 570 municipalités rurales de la région se déclarent « autonomes » et la ville de Oaxaca expérimente via l’APPO l’auto-organisation et la démocratie directe tout en s’inspirant des pratiques autogestionnaires des communautés indiennes.
Fin octobre 2006, le président mexicain envoie 4.000 militaires et policiers au nom de l’ordre public pour réoccuper la ville. Après une trentaine de morts (dont un journaliste américain indépendant d’Indymedia), des centaines de prisonniers politiques et la destructions des barricades, « l’ordre est rétabli » mais encore aujourd’hui le mouvement continue…
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